Fermez les yeux, et laissez-vous replonger en 1999-2000. En kiosques, nous avions les indéboulonnables héros Marvel, les timides percées de plus en plus régulières de DC Comics et les héros Image/Top Cow/Wildstorm plus sombres. Une grosse référence, à l'époque, était Stormwatch (devenant plus tard The Authority), avec ses héros cyniques et violents. Aux USA, on en dénombrait beaucoup comme ça, avec souvent moins de fond. Aux antipodes de ce mouvement apparut America's Best Comics, le label d'Alan Moore, et son premier représentant en France fut Tom Strong !
Publié à l'origine dans un flip-book mensuel en kiosques qui proposait également un épisode de Planetary, Tom Strong se distinguait des autres par son esthétique et ses thématiques très pulps, avec son héros de la science centenaire infaillible, optimiste et lumineux, qui ne règle pas les situations à coups de poing. Pendant trois numéros indépendants, on a pu le suivre en même temps que Planetary qui était thématiquement une traversée de l'imaginaire du XXe siècle moins héroïque. Puis vint un coup de théâtre : l'éditeur Spark séparait la revue pour en faire deux, pour le plus grand bonheur de nombreux lecteurs qui ne goûtaient pas cette cohabitation. Tom Strong réapparut donc dans sa revue bimestrielle, numérotée 4 malgré de nombreux avis contradictoires diffusés dans la presse et sur le net de l'époque, pour deux épisodes d'une histoire en plusieurs parties... qui n'eut pas de fin. Pas de Tom Strong 5 à se mettre sous la dent, pas plus que de Planetary 1 ou 4.
Et pourtant, en octobre de cette même année 2000 (si j'en crois Comics VF), c'est Semic qui sortit un Semic Book des quatre premiers épisodes, le deuxième volume sortant un an après, concluant ainsi l'histoire débutée dans la revue de Spark. Il faudra ensuite attendre 2007 et 2008 pour voir arriver la suite chez Panini. Finalement, c'est fin 2017 que Urban Comics nous gratifie d'une intégrale en deux tomes très strong... heu, épais.
Comme je l'ai déjà dit, Tom Strong est un héros de pulp né de la science et élevé dans la jungle. Les racines de Goloka poussant sur l'île d'Attabar Teru lui offrent une grande longévité, et c'est ainsi qu'on le découvre tout juste grisonnant des tempes en 1999. Si c'était un héros de l'univers Wildstorm de Warren Ellis (comme, oh, tiens, Elijah Snow de Planetary), ce serait un "century baby", un esprit du XXe siècle. Tom Strong a des gadgets très avancés, des comparses très à l'aise dans leur numéro de duettiste (Pneuman le robot sur chenilles et Salomon le gorille parlant), ainsi qu'une femme et une fille "adolescente". Tout au long de ses aventures, il rencontrera des extraterrestres, des mayas venus d'une autre dimension, un homme modulaire, sa némésis Paul Saveen, et son "double" Tom Strange, doté de pouvoirs acquis grâce à l'Alosun, venu de Terra Obscura, une Terre située de l'autre côté du soleil et peuplée par les super-héros de Nedor Comics.
Tom Strong n'est cependant pas apparu de nulle part : quand on regarde bien, on voit qu'il est l'aboutissement de la reformulation du personnage de John Prophet (la création de Rob Liefeld) entamée dans Judgment Day chez Awesome Comics ; cette révision de l'univers liefeldien par Alan Moore ayant tourné court pour de multiples raisons, plusieurs concepts peuvent se retrouver dans les séries du label ABC.
Voilà donc comment écrire un personnage au parfum d'antan de manière moderne.
La prochaine fois, je ferai un topo sur Judgment Day, là où tout a commencé.
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